Le premier exemplaire du Panhard-Chatillon, encore habillé de clair, avec son radiateur en laiton rutilant. Les sièges de style cocher de fiacre, rembourrés de crin, sont bien conformes à la tendance de confort à l’époque. Le pare-brise, au regard de la vitesse maximale probable, n’avait même pas été envisagé, fut-ce dans un rêve d’ingénieur.
Le Panhard-Chatillon en configuration ” terrain ” avec équipage, ” limber “, prolonge et pièce d’artillerie. Survivance de l’ère hippomobile, restaient les roues-bois, charronnées à large cerclage acier pour la charge remorquée, le camion évoluant pour sa part sur des roues pleines en caoutchouc dur. On distingue à l’avant le tambour du treuil
Un équipage prend son essor : outre le treuil, cette image montre mieux le double bandage des roues avant – les mêmes roues qu’à l’arrière, ce ne sont pas des jumelées. On croit même apercevoir dans la fumée du moteur une troisième remorque dans le virage. On comprend mieux la vitesse maximale de 8 km/h pour ce train routier ! Le conducteur, à droite, a quand même un “pouet-pouet” pour signaler son arrivée aux distraits.
On a tendance à croire que les premiers camions 4×4 ont été développés outre-Atlantique, par Jeffery, F.W.D. ou Nash avant ou pendant la première guerre mondiale. Fausse piste, même si les modèles U.S. sont plus connus car produits en plus grand nombre.
En effet, dans l’hexagone, nos ingénieurs du monde automobile n’étaient pas en retard, notamment chez Latil, Renault ou encore chez Panhard-et-Levassor, marque pionnière de l’automobile en général jusque dans les années soixante.
L’armée, par la voix du lieutenant-colonel de Port, avait dès 1910 sollicité les ingénieurs pour tenter de remplacer les pauvres chevaux de trait chargés de déplacer les pièces d’artillerie : la mécanisation devait, tout en rendant peut-être un service meilleur, supprimer tous les soucis d’écuries, vétérinaires, avoine et autres collatéraux de la traction hippomobile.
S’alliant au savoir-faire métallurgique de la société Chatillon-Commentry, la firme Panhard-et-Levassor mit donc au point un engin d’avant-garde. Certes, il ressemblait à première vue, à un camion ordinaire, bien que ses drôles de roues pouvaient étonner avec leur grand voile central et leurs nombreux petits rayons. L’innovation se situait là où on ne voit rien de loin : côté mécanique. Les ingénieurs en effet, partant d’un modeste moteur de quatre cylindres développant tout juste 40 chevaux-vapeur à la lente rotation de 1000 tours/minute – à peine mieux qu’un ralenti moderne – réussirent à faire rouler ce camion à quatre roues motrices à…, 17 km/h en solo, et moitié moins vite avec son attelage d’artillerie de 15 tonnes au moins, selon la pièce. Car, devant le canon, il y avait aussi la “prolonge”, le caisson – le “limber” des anglais – avec outils et munitions.
Une boite de vitesses à pignons droits du type “solide de chez solide” alimentait en puissance démultipliée un énorme boîtier de différentiel placé au centre du camion, à mi-chemin d’un empattement de 3,30 mètres. De chaque côté de ce robuste différentiel jouant le rôle de répartiteur, deux renvois d’angle transmettaient le mouvement aux quatre roues par quatre arbres différents, avec de nouveau un renvoi d’angle à chaque roue. Ce que l’on appelle une cascade de pignons, au demeurant dévoreuse d’énergie. Comme celle-ci était rare, la lenteur s’explique. Tout comme le faible rayon de braquage du à cette mécanique lourde et aux freins sur les quatre roues, ce qui n’était pas un équipement dominant à l’époque. Et, de part et d’autre de ce différentiel central, à la hauteur du siège conducteur, les deux petits tambours du frein à main, bien visibles de l’extérieur. Sans oublier un petit treuil-tambour à l’avant.
Quant à l’arrière de ce camion fort rustique d’apparence, il recevait dans le même confort ventilé qu’à l’avant, l’équipe de la pièce, soit une dizaine d’artilleurs. S’il subsiste quelques rares exemplaires de camions 4×4 de Renault ou Latil, en revanche pas de survivant identifié du Panhard-Chatillon “T 4L KT” qui, il faut le préciser, ne fut guère construit qu’à cinquante exemplaires. Mais il est bon de dire qu’il a existé et fonctionné.
Jean-Pierre Dardinier.