Image tragique de ce que sont devenus la plupart des 14 000 Gama-goats : des échafaudages de futur aluminium attendant le désossage avant refonte… Si cela ne vous navre pas, c’est trop tard.
Voilà bien un drôle de machin que ce M-151 : atypique d’un bout à l’autre, étonnamment original et complexe pour du matériel militaire, il fait un peu figure d’ aberration d’ingénieur fou, de nos jours. Mais dans le contexte politique des années 60, une explication était avancée: c’était le froid du froid avec l’URSS, toutes les éventualités étaient étudiées. Et dans l’hypothèse d’un conflit européen partant vers l’Est et ses plaines gelées ou inondées, il fallait un véhicule ad-hoc pour les terrains à consistance variable. D’où ce besoin d’un petit outil rapide, à très haute mobilité, très franchissant, y compris les vastes étendues d’eau.
Cette image de face montre bien les particularités des quatre roues directrices et de l’articulation de la fausse remorque.
Un M-561 en balade pacifique dans un dévers : il franchit aussi bien dans l’autre sens.
Un suisse illuminé avait conçu autrefois un prototype curieux qui présente quelques similitudes avec le M-561. Mais il fallut aux USA des années d’études et de mises au point, presque une décennie entre le lancement de l’idée dans la fin des fifties et le début de la construction en 1969. Quelques 14000 « Gama oats » furent construits jusqu’en 1973 par Condec Corp. (une contraction de « Consolidated Diesel Electric Company », une entreprise qui connut, de surcroît, des conflits sociaux à l’époque !
Le Gama se présentait un peu comme une locomotive d’autrefois: la motrice et le tender, mais ne fonctionnant pas l’un sans l’autre. Ca ressemblait à une remorque derrière le petit tracteur au nez plat, mais ce n’était pas une remorque, c’était la seconde moitié articulée du même camion! L’engin était un 6×6 habituellement mu par les roues centrales au débattement spectaculaire au bout d’une lame de ressort transversale, large et unique, et un levier enclenchait en cas de besoin les quatre autres roues ensemble. Roues d’ailleurs toutes indépendantes sur ressorts hélicoïdaux. Mais comme les trois essieux étaient équidistants, il fallait éviter le ripage arrière. D’où complication mécanique supplémentaire: outre la transmission, les freins, l’articulation arrière devait intégrer une commande d’un second boitier de direction : les roues arrière étaient directrices, mais à 50% des roues avant, évitant ainsi le mouvement de dérapage préjudiciable à une trajectoire maîtrisée. Ceci cependant sans direction assistée, c’était assez compliqué sans cela !
Le conducteur, obligatoirement souple, devait s’insérer dans la cabine avancée par une gymnastique à mettre au point à l’usage, il était séparé du passager par le tunnel de boite. Comme le M-561 était amphibie, on avait gagné du poids en le faisant « tout alu », donc peu oxydable, mais il fallait un gros coeur et pas de clapot pour se lancer dans l’eau: les grosses roues de 1100×18 faisaient bouées, la remorque à porte étanche flottait bien, mais l’engin baignait cependant jusqu’au milieu des phares! Une puissante pompe de cale électrique était là pour rassurer, et elle était manifestement indispensable au vu des films d’essai d’époque sur lesquels le jet d’évacuation n’était pas symbolique du tout. C’étaient aussi les roues qui, en barbotant, assuraient la lente natation de l’ensemble. Et on notera qu’un système ingénieux mais pas toujours fiable pressurisait les tambours de freins pour les rendre totalement étanches.
Pour faire bouger tout cela avec une boite 4 synchro, un moteur bien connu dans le monde des travaux publics: le GM 3 cylindres diesel deux temps. Un 2500 cm3 développant 103 hp : nerveux, vaillant, peu gourmand mais une véritable horreur au niveau du bruit. Au ralenti, cela faisait tractopelle. Accéléré, on avait l’impression de promener une menuiserie avec une demi-douzaine de dégauchisseuses en pleine action! Le port des protections auditives était indispensable. Mais au niveau stratégique, il aurait été difficile de s’approcher d’un objectif sans être repéré! Quand on croisait un convoi de Gama goats sur une autoroute allemande, on les entendait venir bien avant de les apercevoir .Car, comme de coutume, les GI’s roulaient pied à la planche !
Les performances hors chemin étaient exceptionnelles, il faut le reconnaître, car la motricité était accrue encore par le fait que la fausse remorque propulsée restait alignée derrière le tracteur mais se tortillait sur les deux autres axes de rotation. Et le confort en cabine était agréablement surprenant en terrain accidenté (c’était différent à l’arrière !). Bref un engin exceptionnel sous tous ses aspects, auquel on ne peut rester indifférent même si la maintenance peut se révéler parfois complexe.
Certains pays ont refusé de les laisser circuler à l’heure de leur réforme vers le monde civil, y compris chez des collectionneurs : il faisait beaucoup trop de bruit, bien que, à côté d’une rave-party ou d’une sono-disco-custom, cela reste anecdotique… En France, où ce n’est pas encore proscrit, il n’en roule qu’un très petit nombre chez les collectionneurs, et quelques rares chez les pompiers en région inondable. Vice redhibitoire sans doute : le seul débarquement à leur actif est sur l’île de la Grenade, et on n’y défile pas… Du coup, la plupart des M-561 ont rendu leur tablier et leur aluminium à…des casseurs. Quel gâchis !
Gama Goat
Les Gama Goat ont eu une existence essentiellement terrestre, à de très rares exceptions près. Cette image de manœuvres de franchissement de coupure humide – terme consacré – montre trois engins progressant grâce à la rotation des roues, comme sur le Mississipi.
Si le caisson arrière, vide à l’exception d’un GI, ne flotte pas trop mal, en revanche on voit que l’eau affleure le pare-brise : les vagues étaient interdites !