En avril 1940, ce bel alignement de Renault UE 2 dans la cour d’une usine de montage : il ne manque plus que quelques détails, dont le phare de black-out Guicherd – au départ dérivé d’un antibrouillard civil – aux fonctions similaires au Notek allemand et au futur BO Drive US.
En manœuvres l’été 1938, une UE des premières séries à 3 vitesses et réducteur.
Le chef de convoi est à l’air libre, les protections des occupants sont repliées vers l’avant et il n’y a pas de coupoles.
Derrière un camion Fiat en avril 1940, la remorque Renault “VV” à suspension sert à transporter plus vite la chenillette dont la remorque chenillée -sans autre suspension que le basculement du boggie -suit cependant l’ensemble sur route.
Un groupe de mobilisés transis contemple, durant l’hiver rigoureux 39/40, cette minuscule chenillette dont on mesure bien l’échelle comparative.
05 juillet 1939 – Le 71ème B.A.F. – Bataillon Alpin de Forteresse – s’entraîne au fort Lamothe de Lyon. Photo col. R. Gazzano
Récemment capturée et n’ayant subi aucune transformation, cette Renault dont le pilote dépasse bien de l’habitacle, montre le détail des trappes d’accès et une partie du caisson basculant à l’arrière.
Cette “UE” récemment capturée – cf croix du marquage latéral – est attelée à sa remorque chenillée bâchée, sans doute pour transport d’essence – et à un petit canon antichar. Le militaire allemand a laissé le triangle du code de la route français – au milieu, entre les coupoles – signalant la présence d’une remorque. À noter, derrière, une Citroën 7C découvrable prise à un officier.
En ce mois de mai 1940 de sinistre mémoire, l’armée française – général Picquendar dixit en 1942 – pouvait aligner dans les régiments quelques 3 300 chenillettes et en conservait en réserve quelques 1 300 dans parcs et dépôts divers. Tel était le fruit de quelques neuf années de fabrication de cet engin dans diverses usines – Fouga à Béziers, Berliet à Lyon et majoritairement Renault à Billancourt.
L’engin en question est connu des amateurs sous le nom de “chenillette UE”, portant chez son concepteur Renault l’appellation “31R”, car c’est en 1931 que commença son histoire dans les bureaux d’étude.
Le cahier des charges demandait un engin moyennement blindé, à chenilles, dont la mission ne serait pas de combattre mais de s’occuper de ce que l’on appelle de nos jours la “logistique”. En gaulois de l’époque, c’était plutôt “approvisionnement”, munitions et carburant jusqu’en première ligne. Ainsi naquit la UE, sur l’élan suscité par l’apparition de la “tankette” anglaise de Carden-Lloyd à la fin des années 20. Un outil qui ressemblait à un char sans en avoir les capacités au combat, et de loin, cela devait être bon pour le moral en ces temps de pacifisme puisque, de son côté et un peu plus tard, un certain chancelier allemand allait effectuer des manœuvres avec des faux chars en contreplaqué sur des voiturettes civiles.
Les militaires, convaincus de l’exclusive mission de “livreur hors chemins” assignée à la chenillette, tenaient même à ce qu’elle ne soit pas armée ! Bref, une conception assez romantique d’une petite bestiole qui cumulait bien des défauts, mais ce n’était pas grave puisqu’elle ne devait pas faire la guerre. Cependant, sous la pression des événements, les état-majors improvisèrent une évolution-bricolage : le chef de bord – ou l’aide-conducteur, selon la terminologie de l’époque – deviendrait en cas de nécessité un tireur. Et pour ce faire…, on empila des sacs de sable (!) sur le blindage avant, pour y appuyer l’inusable fusil-mitrailleur 24/29.
Côté technique, la chenillette UE pesait 2,5 tonnes sans compter la remorque – chenillée ou pas – de 750 kg. Pour remuer tout cela sur de lourdes chenilles acier à lames serrées qui marquaient peu le sol – mais qui, pourtant s’usaient très vite – Renault puisa dans ses dossiers et utilisa le fameux moteur latéral 4 cylindres de 2120 cm3 de ses berlines civiles qui développait environ 35 chevaux-vapeur à un régime plutôt bas. Un moteur courageux et fiable, mais cela ne permettait qu’un petit 30 km/h dans les meilleures conditions, l’appétit conjointement au petit réservoir concédait une autonomie de moins de 100 km. Soit quatre fois moins que ce que réclama le QMC-USA pour les véhicules, quelques années plus tard, quand il s’est agi de faire vraiment la guerre. Le blindage de 7mm – à peine plus du ¼ de pouce, 7.65mm, du scout-car américain à venir – était dissuasif aux balles de Mauser, et seule la pente importante du glacis conférait une meilleure protection à l’avant. A cette allure, la chenillette était incapable de suivre un convoi normal, et l’on conçut une remorque de transport à atteler derrière un camion. Elle put aussi être chargée sur le plateau de petits camions en raison de son faible encombrement.
En effet, l’engin était petit : 2.7m de long, 1.7 de large, avec une silhouette basse d’à peine plus d’un mètre ! Ce qui revient à souligner qu’un certain colonel Charles de Gaulle aurait eu, à cette époque, bien du mal à se faufiler à l’intérieur ! Les deux occupants étaient de part et d’autre du moteur, ne pouvant communiquer entre eux – en marche – que par un jeu de feux colorés au tableau de bord, tant le bruit était insoutenable. Vert pour tourner à droite, bleu pour tourner à gauche, rouge pour l’arrêt, rouge intermittent pour ralentir ! Et comme l’ensemble des jockeys, pardon, des militaires, ne rentrait pas en totalité, l’on vit apparaître cette spécificité de “heaume” d’inspiration chevalière qu’aucune armée par la suite n’osa réutiliser. Une demi sphère en deux parties articulées qui cachait la tête de l’homme comme un casque intégral de moto, avec une mini-meurtrière d’à peine quelques millimètres d’épaisseur pour conserver une – infime – notion du monde extérieur… Pour ma part, chaque fois que dans une brasserie, je pris un café au comptoir, j’ai toujours pensé à la chenillette Renault en prenant les morceaux de sucre dans ces gros sucriers sphériques et chromés qui fonctionnaient de la même façon pour dissuader les mouches. Aussi est-il assez courant, sur les photos d’époque, de voir les occupants buste dehors pour échapper à l’exiguïté et à la chaleur intérieure.
Vers 1936, une version améliorée apparut – la U-2 – dans laquelle le boîtier de réduction disparut au bénéfice d’une simple boite à quatre vitesses au lieu de trois. Alors que la guerre approchait, la chenillette UE assumait déjà quelque obsolescence, et des études furent lancées pour confier les même missions à des engins plus performants. Ce fut le début des chenillettes Lorraine-Dietrich à moteur 6 cylindres Delahaye qui n’eurent pas le temps d’être produites en assez grand nombre pour pendre vraiment la relève.
De ce fait, la “UE” s’efforça de jouer son rôle, mais la période en fut brève : l’occupant n’en laissa guère le temps. En revanche, avec un souci pragmatique, l’armée allemande fit main basse sur tout le matériel “abandonné” et le recycla sous ses couleurs. En ce qui concerne la chenillette Renault, elle concocta au fur et à mesure des besoins, un certain nombre de variantes par additions diverses d’équipements et de superstructures. Ce ne fut jamais cependant un engin de combat, mais plutôt un outil de dissuasion aux allures de petit char qui fit ses quatre années de service actif en “WH”.
Dans ma prime enfance à Nancy, j’en vis passer une chaque matin dans la rue pavée où elle glissait comme par jeu, mais vingt ans plus tard à Cannes, chez un ami qui en détenait une, je dus renoncer définitivement à tenter une installation à bord, malgré la sorte de couvercle articulé qui permettait en principe de se faufiler à l’intérieur. Nous n’étions pas à la même échelle !
Un court instant de répit pour ces GI’s parachutistes, on distingue clairement le “screaming eagle” sur les épaules des battle-dress. Nous sommes pourtant en juin 1944, pas très loin d’Utah Beach, dans les premiers jours de la reconquête. Ces jeunes gens n’accordent que peu d’attention à la “tankette” qu’ils ont sous les yeux, abandonnée par les soldats allemands. En réalité, il s’agit d’une machine gauloise typique qui aura sans doute eu un temps de service plus long dans la Wehrmacht que dans l’armée française : capturée en 1940 à la débâcle, cette chenillette Renault a en effet été très utilisée par les occupants qui lui ont trouvé diverses missions supplémentaires avec adjonction de systèmes d’armes divers. Certes, les chenilles peuvent faire penser à un “Bren Carrier” anglais, mais deux détails ne laissent aucun doute ! la protection à ailettes du pot d’échappement, au tout premier plan, et puis, juste derrière, ces demi-globes qui font penser à des casques de moto, visières relevées. En réalité, ce sont les “blindages de tête” mobiles, destinés à protéger les deux occupants qui ne peuvent entrer en entier dans la machine, trop petite !
De nous jours, il subsiste quelques engins de cette famille de chenillettes dans divers musées de par le monde, le plus lointain étant sans doute…, en Thaïlande, souvenir d’affrontements du passé en Indochine.
J’en vis même une, dépouillée d’une partie de son blindage, qui pendant quelques années d’après-guerre, tira une charrue dans les coteaux caillouteux du bas Quercy. Le détail indémontable : l’orgueilleuse plaque du constructeur, un gros ovale épais de métal moulé, solidement greffé à l’avant gauche du glacis.
Dans les collections privées, il en subsiste, mais elles sont généralement d’une certaine discrétion. Leur reprocherait-on insidieusement leur “collaboration” involontaire ou bien sont-elles résolument dissuasives à utiliser ? La seconde hypothèse parait aussi plausible que l’autre.
Dommage dans les deux cas pour ce témoignage technico-historique d’une époque qui vit naître le concept des “low silhouette”, les silhouettes basses à défilement discret comme cette autre curiosité d’après guerre, plus que rare le prototype Fouga d’une chenillette à moteur Porsche qu’il fallait conduire à plat ventre tant elle était surbaissée !
Conçue par l’ingénieur Bouffort et construite par Fouga, l’originale chenillette surbaissée “VP 90 C” sur chenilles caoutchouc avait moteur Porsche et barbotin à l’arrière : les deux occupants à plat ventre, pédales à l’arrière, voyaient leur chemin par les “boites à lettres” entre les phares. Une pré-série de dix exemplaires en 1955 n’eut pas de suite. Il faut reconnaître que la conduite devait en être surprenante en plus de l’inconfort, et aussi, parfois, trop aléatoire avec ce puissant moteur, pour être mise entre toutes les mains…