Le Double Weasel
Si vous ne regardez que les chenilles, c’est un Studebaker M29 “weasel”. Si vous regardez l’allure générale, c’est un Hägglunds BV206. Mais il y a anachronisme évident. Il s’agit là d’un prototype développé en 1960 dans le Maryland – USA – effectivement sur base de Studebaker qu’un ingénieur astucieux jugea bon d’articuler en quatre chenilles motrices. Le QMC américain bouda l’innovation on ne sait trop pourquoi, mais les Suédois, quelques lustres plus tard, fabriquèrent le Hägglunds contemporain avec le succès international que l’on sait, en partant d’un concept identique… Sans doute est-ce le nom qui n’avait pas plu : les concepteurs, dans le goût de l’époque, l’avaient appelé le “sno t’rrain” par un mauvais jeu de mots.
Kubelwagen type 155 – chenilles
1942 – essais allemands de la Kubelwagen – Halbketten type 155.
Snow Hummer – chenilles
Willys T 29 – chenilles
Alaska – projet US d’un snow – tractor T 29.1, tractant un traîneau.
Antarctique – weasel M 29
Les premiers exemplaires, peints du vert armée, sans transformation, font la première campagne de 1948 et hivernent au Groenland. L’année suivante, repeints de blanc, ils portent sur les flancs l’appellation “Expéditions polaires françaises”. Dés la campagne 50/51, la douzaine de Weasel est aménagée, certains reçoivent une caisse en contreplaqué, et pour être plus visibles sur la neige, sont repeints en orange.
Pour conclure, voici le GAZ 77 : utilisé dans les années soixante, ce transporteur de tout ce qu’on veut avait une silhouette basse de crocodile. Conception rustique, moteur central, il a connu, contrairement aux autres engins chenillés, un retour à la vie civile important en raison de ses dimensions normales, de sa consommation raisonnable et de ses capacités là où il n’y a pas de chemins.
On en a vu notamment qui servaient de taxi et de camionnette aux chercheurs qui ont réussi à exhumer les mammouths congelés du permafrost sibérien.
On a toujours rêvé, depuis l’abandon du cheval, d’un outil polyvalent qui pourrait porter l’homme hors chemins, dans l’eau, sur la neige, et parfois en l’air ! De cet espoir sont nées, avec plus ou moins de bonheur, quelques générations d’engins amphibies dont le point commun était, en définitive, de n’être vraiment excellents ni sur terre ni sur l’eau. Chacun son métier…
La neige est aussi génératrice d’une “vieille angoisse métaphysique” comme dit le président fédéral, aussi a-t-on tenté un peu partout diverses adaptation d’outils existants avant que les suédois fassent preuve de pragmatisme en créant enfin l’outil spécifique, le BV 202 et ses successeurs.
Dans les bricolages officiels, américains et allemands se sont appliqués…, sans succès. La Wehrmacht a tenté une bidouille sur la Volkswagen “kübel” appelée “type 155” en greffant un train de chenilles sur barbotin arrière. Et les américains se sont engouffrés dans la même impasse avec une Willys semi-chenillée de la même manière, roues avant sur skis. Un prototype dénommé T-29. La folle réussite planétaire de ces visions hybrides est encore dans tous les esprits…
Mais cela n’a pas suffi à calmer les inventifs : la plus récente Hummer n’a-t-elle pas, elle aussi, subi un coup de baguette magique de bureau d’études pour devenir la reine du grand nord malgré son camouflage très continental tempéré ? C’est spectaculaire, technologiquement intéressant dans la mesure où, cette fois, il y a quatre chenilles, donc quatre motricités utilisables sur cette importante surface portante au sol. Mais en cas de dégel…
Une MB sans lendemain.
Améliorer les capacités de motricité d’un véhicule dans des conditions hors norme a toujours obsédé les bureaux d’étude, et la jeep n’a pas échappé à cela, elle est même une des mieux placées dans le nombre des aberrations de “Mac Gyver de laboratoire”. Celle-ci est une des plus rares et des moins connues, la revue américaine MVM a retrouvé dans les souvenirs du “National archives and record administration” cette photo prise en septembre 1943 au célèbre Aberdeen Proving ground qui en a vu de toutes les couleurs.
En plus de la semi-chenillée, voici la Willys totalement chenillée : le rapport surface de chenilles/poids du véhicule devait être tout à fait dérisoire, et l’ensemble devait avoir en effet du mal à s’enfoncer dans le mou.
On remarquera que la voiture a gardé sa configuration d’usine, bénéficiant juste d’écarteurs de voie, car les biellettes de direction, quoique inutiles, sont toujours là. Les larges chenilles sont montées à cheval sur des roues military 16 pouces jumelées, et sur un petit boogie central maîtrisant les extensions intempestives génératrices de casse. Une barre à longueur d’empattement prend des airs de tendeur, mais ne tend sans doute rien, car les deux ponts sont bien fixes d’origine. Une astuce au freinage latéralisé, de nature non précisée, a sans doute été pensée pour permettre à l’ensemble de ne pas aller toujours tout droit. L’idée n’a pas été suivie d’effet, mais est-ce bien surprenant ?
Une idée de restauration originale cependant pour ceux qui voudraient débanaliser la MB,( s’il y en a).
Une jeep revisitée
Voici un autre étrange hybride sur base de jeep : sur un châssis rallongé pour l’occasion, a été greffée cette chenille patatoïde style M-29 “weasel”, recevant trois roues à pneumatiques. Deux petites à l’avant, une plus grande à l’arrière que les amateurs de voitures anciennes reconnaîtront sans doute : une jante fil style Ford modèle A des années trente ! Le “registration number” du capot commence par le préfixe “40” réservé aux semi-chenillés, mais il ne s’agit pas d’une photo “signal corps” ou d’Aberdeen : plutôt d’une exhibition contemporaine de collectionneurs en Grande-Bretagne. C’était là un travail isolé d’ingénieur au départ, ce fut complété par la restauration d’un talentueux collectionneur. Car c’est une épave qui fut achetée 18 000 $ aux USA, au grand dam des gens de là-bas qui, faute de ne pas avoir assez enchéri, on vu partir cette rareté.
Eu égard à la main de ressort visible à l’arrière et à une certaine logique mécanique, la grande roue est celle qui enroule la chenille, la médiane étant support et l’avant plutôt chargée de la tension car trop proche du transfer-case pour en recevoir une transmission. Il semble aussi qu’il n’ait pas vraiment été dans les intentions du concepteur de faire fonctionner le train avant, destiné sur la neige à recevoir des skis. Mais on remarque cependant les gros pneus 750×16 façon M-38.
Grâce au numéro d’août 2005 de la revue britannique “Military Machines International” sous la plume de Ian Young, l’on en sait un peu plus sur cet appareil qui, à l’époque du prototype, porta le code “T-28”, et le délicieux prénom de “Penguin” (in french, pingouin, puisque c’était pour la neige). Il semblerait qu’il n’en fut construit que trois exemplaires sur base mécanique Willys mais avec un moteur “gonflé” à 63 hp.
Le restaurateur du phénomène sans lendemain s’appelle Fred Smith, un collectionneur aisé qui, à l’opposé des “MBW 201-philes”, recherche les vraies raretés : il a déjà une bonne douzaine de modèles tous différents de ces jeeps, depuis celle à quatre roues directrices jusqu’au “tug” à six roues construits par un amateur contemporain aux USA, en passant par une réduction de jeep à l’échelle ¾ et une unique “Pigmy”. En plus de GPA, il a aussi une “Schwimmwage”, et la famille va s’agrandir d’une toute aussi rare Kaiser “light weight” et d’une “Mighty Mite”, une Crossley “pup” étant actuellement en chantier.
“Centaur”, une tentative britannique
L’armée anglaise, à son tour, s’est penchée sur la question du semi-chenillé léger : en 1978, il fut procédé à la greffe d’un train chenillé de blindé léger Scorpion sur un châssis rallongé de Land Rover.
L’ensemble, baptisé “Centaur” comme l’hybride mythologique, faisait trois tonnes mues par le V8 habituel, et l’idée parut judicieuse aux essais…, mais ne fut jamais poursuivie. Seuls sept exemplaires furent construits, utilisés par les Lanciers en expérimentation, et les survivantes font la joie des exhibitions sur la grande île.
Et la Méhari aussi!
Inventeurs du semi-chenillé grâce à la collaboration de Citroën et de l’ingénieur russe Kégresse – croisière noire sur B2 des années vingt, croisière jaune sur C4 des années trente – les français n’avaient pas poursuivi tellement dans cette voie après la seconde guerre.
Citroën cependant reste dans les pionniers gaulois puisque, à Retromobile 2003, on put admirer une Méhari “Géo Cap” dotée de chenilles dites “amovibles”. Pose et dépose ne devaient pas cependant être une brève formalité, les chenilles sont à l’extérieur de la voiture, et cela nécessitait aussi une Méhari 4×4 car l’enroulement était réglé par la roue arrière à quatre trous, au lieu de trois sur les autres. On remarque même sur la photo que, autre “amovibilité”, le volant a disparu.
Et la transformation !
Longtemps, la transformation d’un véhicule à roues en véhicule chenillé pour limiter l’enfoncement dans la neige, a nécessité des modifications laborieuses et parfois sans lendemain. La difficulté était majoritairement de pouvoir obliquer les chenilles avant sans arracher les ailes au passage. Des ingénieurs ont trouvé la triangulation : des chenilles à trois poulies d’angle, deux “folles” en bas pour augmenter l’appui, une motrice en haut, à la prise de force de la roue, qui s’accomodait du passage de roue dans l’aile. En voici quatre exemples sur des bases différentes qui ne nécessitaient, en fin de compte, qu’un élargissement de voie sans déport d’axe ! sur Kaiser M-715 et sur Land-Rover, puis sur Steyr Pinzgaueur 4×4 et enfin sur un récent mini-pick-up oriental (avec concession militaro-civile, cette étoile noire qui surprend). Mais le conducteur ne devait pas oublier que son véhicule avait pris de la largeur !