Au début de sa vie militaire, la M-8 alla des U.S.A. vers l’Est en bateau. Ici, en 1943, voici un parc de mise en route du matériel américain livré en Afrique du Nord. Sur ce terrain de Casablanca, ou voit côte à côte au premier plan deux M8 et deux M20. A noter pour les pinailleurs de l’authentique que les étoiles peuvent avoir des tailles différentes le même jour au même endroit. Les énormes batteries 12 volts sont encore posées au bord du capot-moteur de droite, quant aux grandes caisses en bois, elles contiennent le lot de bord ?
On distingue à peine à l’arrière une série de wreckers Diamond et Ward-la-France, mais aussi le nez rond d’un rarissime MACK “LMSW-23”, seul wrecker de cette marque, livré dans une configuration 4×2 qui lui valut une courte carrière au combat.
Quelques trimestres plus tard, durant l’hiver 44-45, une M-8 franchit un gué avec quatre passagers, perchés à l’extérieur avec les bagages, rejoignant le reste du convoi patientant sur l’autre rive. On notera que l’usage sans ménagements au combat aura très souvent signé la mort de toutes les ailes en tôle – nervurée mais fine – à l’avant comme à l’arrière. Les ailes avant, dépassant la largeur du reste du véhicule, furent sans doute les premières victimes de virages approximatifs ou urgents. La pièce de remplacement n’étant pas jugée primordiale en logistique, elle était donc introuvable, ce dont les équipages faisaient aisément leur deuil malgré la boue : il fallait choisir entre le bourrage des ailes par la glaise ou les projections des six roues, mais y avait-il vraiment le choix ?
La guerre est terminée, et le 5ème régiment de chasseurs d’Afrique, qui avait débarqué à Ste Maxime en 1944 avant de rejoindre l’Allemagne, est ramené vers ses quartiers d’Alger début 1947. Cette image est datée du 14 juillet 1947, on voit la M-20 “Paris” complète présenter le défilé devant des M-8 qui ont perdu leurs ailes. Les équipages défilaient en bonnet de police – bleu marine, fesses jaunes -incliné sur le côté droit, comme c’était à la mode à l’époque. L’image se situe au débouché de la rue Alfred-Lelluch – venant de la mairie d’Alger – vers le boulevard Baudin parallèle à la rue Michelet, en bas du plateau des Glières, et le chef de corps du 5ème R.C.A., saluant les autorités, le lieutenant-colonel Berterrèche de Menditte, ne se doute certainement pas que, 15 ans plus tard, il serait le général commandant le corps d’armée d’Alger dans les tragiques derniers mois avant l’indépendance – Photo collection J. P. Dardinier.
Une image du 25 avril 1961 : le putsch des généraux vient d’échouer à Alger, et un convoi blindé de gardes mobiles vient de prendre place – tardivement et symboliquement – devant le quartier Rignot, sur les hauteurs d’Alger, la partie opérationnelle de l’état-major interarmées qui avait été le Q.G. des insurgés. Deux M-8 précèdent deux scout-cars. Sur le premier véhicule, un blindage vertical avec épiscopes a été ajouté sur le dessus de la tourelle semi-découverte, et pour le maintien de l’ordre en ville, la gendarmerie avait apposé des boucliers devant les mitrailleuses des scout-cars. Le garde mobile était en position virile sur le canon, mais il a préféré tourner pudiquement la tête en voyant le photographe… – Photo collection J.P. Dardinier.
Cette M-8 a passé plusieurs années, au retour d’Algérie, en “pot de fleur” à l’entrée du camp du Larzac, cantonnement à l’époque de gendarmerie mobile qui vit transiter les harkis qui avaient eu la possibilité d’échapper au massacre dans leur pays devenu indépendant. Boite bloquée, bielles traversant le carter, elle était condamnée du champ de tir mais survécut un peu car il fut très difficile de la déplacer, elle a pu être sauvée in extremis en 1988.
La même M-8, reconstruite à neuf de A à Z, a défilé le 8 mai 1993 devant Yves Guéna – maire de Périgueux et ancien de la division Leclerc – et les officiels, à l’invitation du M.V.C.G. Dordogne, l’auteur en tourelle, et au volant Michel Orlando, futur président du M.V.C.G. “MidPy”. On notera que le petit caisson nervuré entre les roues avant et arrières, rajouté après guerre à la place du porte-mines en plein air, a été supprimé lors de la restauration – Photos collection J. P. Dardinier.
Dans la famille des blindés sans chenilles, les tentatives furent fort nombreuses, et les premiers pas furent faits en “durcissant” des voitures et de petits camions du commerce civil, de façon parfois un peu “chaudronnées”. Des produits pas vraiment très sveltes, franchissant souvent mal en parcours hors chemins, et à silhouette plutôt haute.
Dans ce chapitre des blindés à roues qui, de nos jours, ont pris une importance de premier plan, la maison Ford se singularisa par un produit résolument innovant dont l’usage se poursuivra bien après la seconde guerre, surtout dans d’autres pays que les U.S.A. d’ailleurs. Il s’agit de l’auto-mitrailleuse “GAK”, plus connue sous le prénom de “M-8” durant le conflit, puis d’A.M.M.8 dans les registres de l’armée française qui hérita après guerre d’une sérieuse dotation de ces engins, tant dans la cavalerie que dans les unité blindées de gendarmerie mobile.
L’engin apparut en 1943, caractérisé par ses six roues motrices, son efficace petit canon de 37mm, son glacis avant très pentu, son moteur arrière bien protégé – un Hercules JXD latéral peu bruyant et pas capricieux qui avait déjà fait ses preuves sur les scout-cars un peu plus anciens, puis les fera sur les camions Studebaker 6×6 cousins du G.M.C., avant de poursuivre une carrière après guerre en Hollande sur les increvables DAF après quelques légères modifications.
C’était, pour le civil, comme un petit char, mais pour l’utilisateur, ce fut beaucoup plus leste, ce qui lui valut chez les anglais le surnom de “greyhound”, le “lévrier”. Et en avancée technologique puisque outre les freins assistés à deux récepteurs par roue, l’hydraulique était omniprésente pour l’embrayage et l’accélérateur aussi. Ce qui, par la suite, ne fut pas sans perturber les mécanos d’entretien pour les inévitables fuites et purges diverses, à tel point qu’en Algérie, bien des cavaliers avaient improvisé des palliatifs à base de câbles de freins de vélos, fil de fer, voire même parfois de ficelles en urgence pour l’accélérateur ! Car, outre les longues canalisations de l’avant vers l’arrière, le système impliquait un émetteur hydraulique à la pédale et un récepteur au carburateur ou à la fourchette d’embrayage, multipliant donc les risques de défaillance au fil du temps…
Rien d’innovant par ailleurs en ce qui concernait la transmission : des ponts “split” de chez Timken qui firent la preuve de leur robustesse, boite de vitesse et réducteur classiques. Il fallait juste s’habituer à la position inhabituelle du volant à contre-pente ou presque, et à la grille des vitesses d’un levier qui fonctionnait à l’envers du “H” traditionnel puisque tout devait repartir à l’arrière et que le moteur était inversé par rapport au sens de marche. Bref, un coup à prendre, mais un bon petit cheval à la direction agréable et au freinage efficace pour son poids et son allure.
Seules deux versions existèrent chez Ford : la monocoque blindée de base restait la même, la différence se situait dans les superstructures. La T-22 E2, dite “M8” accueillait une tourelle à manivelle, bien blindée avec bouclier épais pour son canon – et sa coaxiale de .30 – plus une mitrailleuse à l’arrière de la tourelle sur tulipe fixe, destinée uniquement à tirer vers l’arrière ou parfois vers le haut, mais pas vers l’avant : on a vu de jeunes “reconstituteurs” accrochés au poignées de la mitrailleuse et qui devaient s’accroupir… sur le capot moteur tout chaud, sans protection derrière la tourelle, pour être dans ce qu’ils pensaient être une position de tir normale vers l’avant ! Plus tard, et notamment dans l’armée française, l’addition d’un ring circulaire au dessus de la tourelle permit de remédier à ce positionnement irrationnel du tireur en lui permettant de tirer tous azimuts en étant protégé. En Algérie, la garde mobile avait même surélevé le blindage de tourelle qui prenait des allures de lessiveuse renversée.
La T-26 dite “M-20” était pour sa part en casemate découverte, avec juste un drôle de petit franc-bord de protection et un “ring” circulaire de mitrailleuse lourde. Toute la différence entre la voiture de commandement et la voiture de combat. Cette T-26, une tonne de moins que la version canon, fut livrée en 3 791 exemplaires sur deux ans, alors que sa sœur atteignit durant la même période 8 523 engins. On notera que les versions découvertes disparurent rapidement du service actif car ne répondant plus à un réel besoin et souffrant d’une carence de protection d’un équipage de 4 hommes – un peu à l’étroit dans la version M8, au point de faire la guerre avec les paquetages en plein air, accrochés tant bien que mal !
Par la suite, les M-8 crapahutèrent un peu partout avec l’armée française – Indochine, puis Algérie en escorte de convoi puis maintien de l’ordre en ville sur la fin – mais aussi dans des pays d’Afrique francophone. Un ami, à présent général de gendarmerie 2ème° section, qui avait vécu il y a des lustres en tant que conseiller technique dans un pays africain, m’avait raconté un défilé de la fête de l’indépendance dudit pays qui avait, dans un hangar, deux M-8 dont l’hydraulique avait depuis longtemps pris sa retraite. Le passage des engins en première petite, sans freins ni embrayage, pouvait passer inaperçu de la tribune officielle, mais de l’autre côté de l’avenue, le public ne voyait pas les mêmes engins : seule la moitié visible de la tribune avait été repeinte au pinceau dans un vert tropical, l’autre côté étant “olive drab d’époque + rouille”. Cela ne s’invente pas.
Au travers de plusieurs décennies, voici donc une évocation en images de la carrière militaire de ces drôles d’engins dont le bruit du ventilateur couvrait celui du moteur : certaines finirent en “pots de fleurs” à l’entrée de casernes, toutes pièces mobiles prudemment soudées, puis ensuite beaucoup souffrirent sur les champs de tir en résistant vaillamment, à tel point que certaines carcasses purent heureusement être re-conditionnées par les conservateurs de matériel militaire.