Ces deux images, prises sous le même angle, montrent bien le même engin à deux moments de sa vie : un étonnant prototype né d’une union contre nature de l’oiseau et de la tortue, du moins de l’avion et du blindé.
Sur l’une, sur fond de bâtiments industriels, on voit bien l’hélice de bombardier à quatre énormes pales et une mitrailleuse à refroidissement à eau qui dépasse à l’avant gauche. Sur l’autre, sur fond avec train sur une voie ferrée cette fois, l’hélice n’a pas disparu : c’est parce qu’elle tourne, en revanche plus de mitrailleuse. Mais qu’est donc cette surprenante invention ?
Malgré la calandre que l’on peut confondre facilement, ce n’est pas une Rolls-Royce : celles-ci avaient le radiateur blindé dans leur version automitrailleuse, ce qui n’est pas le cas ici.
Voici donc l’œuvre d’un gaulois – mais avec une complicité anglaise, d’où canon à gauche et volant à droite. Un certain Maurice Sizaire, précédemment connu à Courbevoie pour y avoir fabriqué un certain nombre d’autos monocylindres avec la complicité d’un nommé Naudin. Autos qui vieillirent vite et déclinèrent jusqu’à disparition de la marque. M. Sizaire se trouva alors un autre complice, un anglais nommé Berwick avec l’aide duquel il lança en 1913 une nouvelle marque – Sizaire-Berwick évidemment – de berlines plus accordées à leur temps.
Le temps de la première guerre mondiale aussi, voici pourquoi Maurice Sizaire lança son imagination sur les auto-mitrailleuses blindées, à l’instar de ce que faisait déjà Rolls-Royce en petite quantité. Il n’avait pas de rapports cordiaux avec “R.R.” après un procès concernant cette fameuse calandre en temple grec que la firme anglaise lui reprochait…, alors que seul Sizaire en avait déposé officiellement le dessin ! Mais c’était en Angleterre, Rolls gagna son procès et Sizaire dut modifier son radiateur par la suite.
Jouant la carte de l’innovation, il visa le marché du Moyen-Orient pour ce type de matériel nouveau, et se tritura les neurones pour trouver, bien avant les voitures à quatre roues motrices, une machine qui se moquerait des obstacles des mauvais chemins – ou de pas de chemin du tout d’ailleurs – malgré ses petites roues fil de motocyclette et son absence de freins à l’avant. Comme il avait mis au point par ailleurs un moteur d’avion à 8 cylindres en V – qui n’eut aucun succès, trop lourd pour les premiers aéroplanes en toile – il le muta en transporteur routier. Une sorte d’autruche blindée, un oiseau qui ne vole pas !
L’appareil fut donc testé vers la fin de la guerre, en 1918, d’où ces images d’un prototype sans lendemain qui fait un peu “Agence tous risques”. Un blindage léger à l’avant, pour faire peur, mais rien qui protégeait l’arrière, carence prohibitive. Un coup de chevrotines dans l’hélice et tout partait en vrille, il n’y avait que les occupants et juste un peu le radiateur – il est fixé derrière le conducteur – qui étaient protégés. On remarque d’ailleurs que ce moteur V8 à 90 degrés d’ouverture du V, précurseur à l’époque après l’innovation lancée par de Dion-Bouton avant la guerre de 14, était encore à culasses borgnes, non démontables – les soupapes latérales nécessitaient alors chacune un bouchon-vis à créneaux sur le haut-moteur pour l’accès mécanique par le dessus.
Est-il utile de préciser que cette idée hors norme n’eut aucun succès auprès des militaires de tous bords? Son utilisation d’ailleurs, dans les pays secs du Proche-Orient, l’aurait rendu vite repérable car traînant dans son sillage, outre le bruit, un long tourbillon de poussière…Un peu comme “Bip-Bip”, ce petit personnage de dessin animé devenu célèbre quelques décennies plus tard….